Le Qatar a annoncé que la Coupe du monde de football 2022 sera “neutre en carbone
” grâce aux mécanismes de compensation. Pourtant, 3,6 millions de tonnes de CO2 seront rejetés dans l’atmosphère, selon la FIFA. Ce chiffre s’explique, principalement, par la construction des stades et par les déplacements en avion des supporters. Décryptage d’un “greenwashing” en bonne et due forme.
La Coupe du monde de football 2022 sera “neutre en carbone
”, promettent les organisateurs qataris. “La première de l’histoire
”, clament-ils. Ils s’engagent aussi à : “atténuer et à compenser toutes les émissions de gaz à effet de serre du tournoi, tout en faisant progresser les solutions à faible émission de carbone au Qatar et dans la région
”.
En cette période de Noël, chacun est libre d’y croire, et les promesses n’engagent que ceux qui y croient. Mais, le Mondial vient de commencer, et le 18 décembre, date la finale, lorsque le capitaine de l’équipe victorieuse soulèvera la Coupe du monde sous la clameur des spectateurs du monde entier, non seulement, les confettis voleront dans le ciel, mais, au moins, 3,6 millions de tonnes de CO2 auront été rejetés dans l’atmosphère, selon la FIFA. Ce chiffre s’explique, principalement, par la construction des stades et par les déplacements en avion des supporters. En comparaison, la Coupe du monde 2018 en Russie avait engendré 2,2 millions de tonnes de CO2.
“L’empreinte carbone des stades sous-estimée »
Depuis 2010 et l’attribution controversée du Mondial au Qatar, ce petit pays de la péninsule arabique (11 571 km² et 2,9 millions d’habitants) a élevé sept enceintes sportives (sur huit), équivalentes à un Stade de France, un stade Vélodrome et cinq stades comme celui de Bordeaux. Sans compter Lusail, où se tiendra le match de clôture, une “ville du futur” situé à 25 km au nord du centre-ville de Doha, qui vient tout juste à sortir de terre.
Selon les organisateurs, le coût environnemental de la construction des infrastructures sportives représente 0,2 mégatonne d’équivalent CO2. Or, la méthode de calcul est critiquée par l’ONG belge Carbon Market Watch. Selon elle, “l’empreinte totale des stades pourrait être sous-estimée d’un facteur huit, s’élevant à 1,6 mégatonne d’équivalent CO2”.
Sortez vos calculettes qataries : la construction d’un stade émet 270 000 tonnes d’équivalent CO2. Sachant que sa durée de vie est de soixante ans, soit environ 22 000 jours, cela représente environ 12 tonnes d’équivalent CO2 par jour. Mais, selon la FIFA, les stades seront mobilisés durant 58 jours. L’empreinte carbone d’un stade est donc de 696 tonnes d’équivalent CO2 par jour. Seulement voilà : seuls 58 jours sont pris en compte sur les 22 000… Le Qatar oublie, ni plus ni moins, de comptabiliser les émissions propres à l’entretien et à l’exploitation de ces stades après le Mondial. L’un d’eux, le Stadium 974, est cependant entièrement démontable. Reste à savoir dans quelles conditions, vu le traitement inhumain infligé aux travailleurs immigrés durant toute cette décennie ? Où ira-t-il ? Et comment ?
Compensation carbone
Les organisateurs se sont défendus, dans un communiqué, arguant que “la méthodologie utilisée pour calculer l’engagement neutre en carbone est la meilleure et a été conçue pour être basée sur des données d’activité réelles. Tout écart sera expliqué et compensé
”. Et d’ajouter : “Aucun autre pays ne s’est engagé aussi profondément pour s’assurer qu’un héritage durable soit laissé après une Coupe du monde de la FIFA
”.
Pour tenir ses engagements, le Qatar compte sur la compensation carbone. Ce dispositif permet, via des crédits, de contrebalancer les émissions de gaz à effet de serre émises, en finançant des programmes favorables à l’environnement. Autrement dit : toute la contamination engendrée par ce Mondial sera compensée par des contributions financières pour le développement durable dans le monde.
Mais là encore, le bât blesse. S’il existe déjà des organismes internationaux de compensation carbone pour faciliter les échanges, le Qatar, lui, a préféré créer son propre programme : le Global Carbon Council. Un organisme critiqué par Carbon Market Watch pour son manque de “crédibilité
” et d’”indépendance
”. Selon l’ONG, le Qatar pratique le “greenwashing” : le pays pollue, mais finance des projets vertueux ici et là.
La plus grande ferme à gazon du monde
Justement, pour compenser ses émissions, le Qatar a, notamment, choisi de créer la plus grande ferme à gazon du monde… en plein désert. “Ces espaces verts artificiels et vulnérables
”, note l’ONG, sont censés réduire les émissions de carbone. Mais l’installation est, certainement, temporaire alors que les gaz à effet de serre, eux, squattent l’atmosphère durant des siècles.
Autre problème environnemental concernant les stades : la climatisation. Le 2 décembre 2010, lorsque Sepp Blatter, alors président de la FIFA (1995 – 2015) annonce, en direct, à la stupeur générale, que le Qatar vient de décrocher l’organisation de la Coupe du monde de football 2022, la compétition doit se jouer en été (juin-juillet) comme c’est le cas depuis le premier mondial, en 1930, en Uruguay.
Mais les températures estivales du Qatar frôlent les 40ºC avec une forte humidité. Difficile de jouer au ballon dans ces conditions-là… La solution apportée par Doha ? Climatiser les stades, non couverts de surcroît. De quoi faire tousser tous les défenseurs de l’environnement !
Des stades à ciel ouvert climatisés
Cependant, cinq ans plus tard, en 2015, la FIFA prend la décision de déplacer le Mondial en hiver. Une bonne nouvelle pour les joueurs et les supporters. Mais aussi pour l’environnement. Sauf que… les stades seront tout de même climatisés. Par exemple, le stade de Doha est équipé pour réduire la température à 15ºC au niveau de la pelouse alors qu’il en fait plus de 40 à l’extérieur. On n’ose imaginer l’empreinte carbone, surtout dans un stade à ciel ouvert ! Doha se défend en expliquant utiliser des énergies renouvelables via des panneaux photovoltaïques et assure que le système de climatisation est “innovant
”…
Les déplacements en avion des supporters posent également problème. Initialement, dans le dossier de candidature du Qatar pour l’obtention du Mondial 2022, l’émirat avançait, comme principal argument écologique, être un petit pays. Les déplacements des supporters seraient donc faciles, pratiques et écologiques.
Doha a d’ailleurs construit trois lignes de métro et des navettes qui relient les huit stades entre eux. Dans de telles conditions, les fans du ballon rond pourraient même voir plusieurs matchs de poules dans la même journée. Une chose impossible pour les Mondiaux précédents ou pour le prochain (organisé, en 2026, par le Canada, les États-Unis et le Mexique).
Dix fois plus de vols entre Doha y Dubaï
Sur le papier, les émissions de gaz à effet de serre devraient être réduites : des courtes distances, donc pas de transport polluant, comme l’avion par exemple. Seulement voilà : à Doha, l’hôtel le moins cher coûte une centaine d’euros la nuitée… Un tarif prohibitif pour la grande majorité des supporters. Résultat : pour trouver des logements bon marché, ils iront à… Dubaï. À 381 km, soit 1h10 d’avion de Doha ! La compagnie aérienne Fly Dubai a annoncé multiplier par dix ses vols quotidiens vers le Qatar, durant la compétition. Les supporters pourront faire l’aller-retour dans la journée. Et voici le principal argument du Qatar en faveur de l’écologie qui explose en plein vol !
À titre de comparaison, lors des précédentes Coupes du monde, les coûts du logement dans les grandes villes, comme Moscou (2018) ou Rio de Janeiro (2014) étaient tout aussi onéreux, mais les supporters pouvaient s’installer dans des villes voisines, où l’hôtellerie est plus abordable. Mais, dans l’émirat, ces alternatives bon marché n’existent pas.
« Quand on existe, on est aussi critiqué
”
Si le Qatar tenait tant à organiser la compétition reine du foot, “c’est pour être sur la carte
”, explique Pascal Boniface (directeur et fondateur de l’Institut de relations internationales et stratégiques), sur la chaîne L’Équipe. Il est vrai que ce petit pays du Golfe n’existait pas encore lorsque Pelé a soulevé sa première Coupe du monde, en 1958. Depuis, du chemin a été parcouru, notamment, grâce à la diplomatie du pétrodollar. “Le Qatar veut se donner une bonne image,
poursuit Pascal Boniface.
Il veut montrer une image positive. C’est un tout petit pays coincé entre deux géants, L’Arabie Saoudite et l’Iran. Il veut exister sur la carte, mais il n’a pas calculé que quand on existe, on est aussi critiqué
”.
Si on ne sait pas encore quelle nation lèvera les bras au ciel le 18 décembre prochain, on connaît déjà, en revanche, les deux principaux perdants : l’environnement et, surtout, les 6500 travailleurs immigrés morts – selon une enquête du Guardian – pour que la grande fête du ballon rond ait lieu. Comme tous les quatre ans. Mais, jamais, un Mondial n’aura été aussi controversé : droits de l’Homme, climat, pollution, corruption… Il semble que le Qatar ait déjà raté son but.
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